L’anti-complotisme universitaire mis à nu!

Alors que le journalisme est en phase de décomposition généralisée, succombant aux partis pris systématiques, procédant par occultation des faits, résorption du champ du débat et manipulation outrancière du narratif catastrophiste lié à la crise du Covid, il est intéressant de se pencher sur une autre figure majeure du dispositif d’embrigadement politique et idéologique à laquelle recourent également massivement les médias mainstream. Il s’agit de l’expert universitaire en complotisme, souvent convié sur les plateaux de Tv pour disserter sur son sujet de prédilection en l’absence du moindre contradicteur ou bénéficiant d’une large couverture de ses travaux dans la presse. Je vais ici livrer quelques réflexions que m’inspire l’un d’entre eux, Pascal Wagner-Egger enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Université de Fribourg  et qui est en première ligne depuis le début de la crise du Covid. Il publiera bientôt un livre sur le sujet du complotisme dont je ferai une analyse critique dans les mois qui viennent. Pour l’heure je me rapporterai à quelques-unes des interventions qu’il a faites dans les médias.  

Notre auteur participe d’un vaste mouvement qui entend purger la démocratie des discours toxiques dont feraient partie ceux des complotistes. C’est là la première digue de légitimité derrière laquelle se retranchent les experts en complotisme. L’entreprise se pare immédiatement des atours nobles et prestigieux de la défense de la démocratie. Cela lui permet de se situer d’entrée dans le camp du « bien » menacé par les discours complotistes. En criant à la démocratie en danger nos experts se posent ainsi comme ses champions, mais la manœuvre repose sur une succession de tours d’illusionniste. Rarement, en effet, nos experts font la démonstration que la démocratie est mise en danger par les discours complotistes, sauf à considérer que la démocratie est conçue, dans leur esprit, comme un régime dont la finalité est de pérenniser l’ordre établi actuel.

Or, de un,  si la démocratie est essentiellement un système de désignation du pouvoir sous contrôle du peuple en vue du bien commun, on ne voit pas bien pourquoi des discours dénonçant l’accaparement du pouvoir par un groupe mu par des intérêts privés et une logique prédatrice recourant à la manipulation, à la corruption, à la propagande et au mensonge – ce en qui constitue l’essentiel du contenu des discours complotistes – serait en soi antidémocratique. L’expert en appellera peut-être aux protocoles des sages de Sion, mais depuis un siècle que l’on tire sur cette corde, le peu de fibres qu’il lui reste ne peut plus prétendre mouvoir grand chose.

Ensuite, de deux, si le complotisme est partagé par un nombre élevé de citoyens au point qu’il nécessite d’être combattu par la censure, des purges, un lexique à charge, voire vindicatif,  la mobilisation d’experts, pourquoi cette fraction importante du corps des citoyens doit-elle subir un traitement non démocratique, stigmatisant, être privée de débats, de représentants dans les médias, alors même que le thème principal qui la porte est la dénonciation du dévoiement de la démocratie, sa captation par des petits groupes d’intérêts privés n’agissant pas en faveur du bien commun ? Le traitement qui lui est fait ne démontre-t-il pas par lui-même que la dénonciation du complotisme, sous couvert de défense de la démocratie, est en contradiction avec les objectifs affichés par les contempteurs du complotisme?

La première digue de légitimité de nos experts, prétendument champions de la démocratie, apparaît donc d’entrée comme passablement lézardée. Il est important de le relever immédiatement, car cette contradiction abyssale et constitutive n’a de cesse de se déployer dans leurs analyses, au point qu’elle finit par les engloutir entièrement et de les faire apparaître pour ce qu’elles sont réellement : de la pure rhétorique sophistique favorisant la perpétuation des rapports de forces qui travaillent la société en faveur des dominants du moment. En plaçant leurs travaux immédiatement sous l’étendard de la sauvegarde de la démocratie, nos experts, consciemment ou non, ne font en fait que dissimuler dans ses plis la finalité qu’ils servent.

Attardons-nous maintenant sur l’argument central de monsieur Pascal Wagner-Egger. Le vice originel des complotistes, à ses yeux, serait qu’ils failliraient au devoir de la démonstration de la preuve. Leurs discours seraient recevables si leur mise en accusation du Big Pharma, des oligarques, des services de renseignements, ou des gouvernements pouvaient se prévaloir de preuves irréfutables. Cet argument fonctionne comme une deuxième digue de légitimité de nos experts. Au moyen de ses enquêtes, de ses données, de ses modèles et expériences en psychologie sociale, notre expert prétend en outre faire la démonstration que les complotistes ont souvent des préjugés d’ordre religieux, idéologiques, métaphysiques, philosophiques qui les orientent dans leurs réflexions. Il fait entrer tout cela dans la petite case des “croyances”, qu’en bon petit positiviste il coche fièrement.  De glissement en glissement on en arrive alors à présenter les complotistes comme des fulminateurs irrationnels. Le tour de passe- passe exécuté, on se retrouve donc avec, d’un côté, une démarche irrationnelle, religieuse et, de l’autre,  lui faisant face, celle de notre  expert, toute auréolée de scientificité et de factualité. Mais interroge-t-on en retour l’expert sur les prérequis métaphysiques (adéquation du sujet et l’objet, existence d’un ordre du monde, matérialité des choses en soi ) qui fondent la démarche scientifique en elle-même, sur ses aptitudes à les démontrer et, s’il n’est pas en mesure de le faire, lui explique-t-on qu’il a beau être scientifique il n’en est pas moins un “croyant”, l’interroge-t-on, en outre, sur les différentes options idéologiques et politiques avec lesquelles fraie sa propre discipline, la psychologie sociale (Tout le courant d’ingénierie sociale dont Edward Bernays fut l’un des chefs de file dénoncé par Stuart Ewen dans La société de l’indécence)? Non, évidemment! Lui est un expert, il a le privilège de se situer au-dessus de la mêlée, quand bien même sa démarche serait tributaire des mêmes failles qu’il dénonce chez son opposant pour le mettre en boîte. Bienheureux positivistes dont la poutre qu’ils ont dans l’oeil n’empêche pas de mettre en cause la paille dans l’oeil de leur prochain!

Avant même que le complotiste puisse se prononcer sur les sujets qui lui sont chers, l’expert lui fait donc croire que sa barque a donc déjà pris l’eau et qu’il est en devoir de l’écoper en se justifiant sur ses arrière-plans idéologiques, religieux etc. Comme les complotistes ne forment pas un tout homogène, idéologiquement, religieusement et philosophiquement, on pourra renvoyer chaque complotiste, pris individuellement, à ses « croyances » personnelles et pourquoi pas le désigner comme la marionnette de ces dernières. Ce qui est très pratique puisque c’est autant de temps que l’on ne consacre pas à discuter du sujet de fond dénoncé par le complotiste.  

Ce qui est très intéressant et très riche en enseignements dans cette configuration provoquée par l’expert, c’est qu’elle met aux prises le complotiste avec les interprétations et procès d’intention des experts qui servent de la sorte de paravent au groupe dénoncé par le complotiste, désamorçant la critique du complotiste par quantité de mises en accusation de la position d’où ce dernier parle. Mis sur la défensive, le complotiste, s’il trouve la parade – qui n’est pas difficile à dégainer cependant : que Newton ait été alchimiste-occultiste, invalide-t-il la loi de la gravitation universelle ? Bien sûr que non, ses croyances hermétiques ayant même été décisives dans ses recherches et découvertes- devra alors répondre à la deuxième accusation : quelles sont vos preuves ? Mais cette exigence de preuves ne fait que trahir encore un peu plus le rôle objectif que joue l’expert. Puisqu’à travers elle, l’expert entend une fois de plus exclure le complotiste du débat politique en substituant à l’arène politique la cour de justice où l’expert ,revêtu de la robe de l’avocat général, enjoint l’accusé complotiste, poursuivi pour diffamation, à fournir la preuve de ses accusations . C’est certainement là la rouerie sophistique la plus révélatrice mise en œuvre par l’expert. Pascal Wagner-Egger revient ainsi souvent avec cet argument : il faudrait que les complotistes qui accusent Bill Gates, Georges Soros, Klaus Schwab(triumvirat assez représentative des répulsions qui animent les complotistes) et leurs relais politiques puissent apporter la preuve irréfutable de leurs accusations pour être pris au sérieux. Notre triumvirat ne fait pourtant pas mystère de son engagement politique, de sa volonté de peser sur la politique internationale. Par cet argument, monsieur Wagner dénie en quelque sorte aux complotistes le droit d’intervenir dans le débat politique. De manière autoritaire il circonscrit leurs dénonciations au domaine pénal, celui de la diffamation. C’est là que notre expert abat réellement ses cartes et démontre que sa critique, qu’il en soit conscient ou non, mène à empêcher le débat politique, comme l’indiquait déjà la première digue de légitimité qu’il revendiquait en se faisant le champion de la démocratie contre les thèses d’emblée présentées comme toxiques des complotistes, nécessitant donc d’être neutralisées.

Les atteintes graves à la démocratie, aux droits de l’homme, à la santé résultant de complots font cependant légion ! Leur dénonciation, au moment des faits, peuvent pourtant rarement se fonder sur des preuves clairement établies. Celles-ci ne venant souvent que plus tard, quand le mal est fait. Faut-il cependant s’interdire d’en parler au moment même où les complots produisent tous leurs effets ? Evidemment non !  Ces dénonciations contribuant assurément à faire éclater la vérité et à faire bouger, parfois, quelque peu les lignes. Que l’on songe à l’opération Ajax, au projet Mk Ultra, aux expérimentations sur personnes vulnérables et aux opérations eugénistes de stérilisation, aux mensonges liés au faux plan génocidaire dit « fer à cheval » en Yougoslavie pour justifier les bombardements, à l’opération des couveuses du Koweit dont les soldats irakiens auraient extrait des bébés pour les massacrer montée de toute pièce par Hill and Knowlton, une agence de communication organiquement liée à la Cia, aux prétendues armes de destruction massive détenues par Saddam Hussein, aux opération Gladio conduites par l’Otan sur sol européen.  Si l’on élargit la réflexion au mouvement même de l’histoire des civilisations, nous sommes désormais parfaitement au fait que l’écriture de l’histoire est souvent au service de projets politiques et idéologiques: de Tite-Live et les vertus de « son vieux romain » justifiant la domination de Rome sur le monde aux légendes noires du Moyen âge promues par la franc-maçonnerie, certains courant du protestantisme et du judaïsme pour dénigrer l’œuvre de l’Eglise, saper le socle culturel qui faisait la chrétienté et assurer le triomphe du relativisme libéral. Le recours à la propagande sur des décennies est un fait clairement établi pour asseoir certaines options idéologiques, morales ou géopolitiques. Les preuves ultimes de l’existence de tels projets ne sont cependant jamais faciles à asséner, les grandes mutations civilisationnelles se faisant sur des décennies, progressivement, par la résistance opiniâtre à l’oppression, le combat pour la vérité ( voire les dissidents soviétiques) ou par l’instillation du mensonge, pas campagnes de propagande successives et par l’exploitation de certains événements ( Voire le livre de Noami Klein, La Stratégie du choc). Et même lorsque les actes sacralisés de certains tribunaux participent à la transformation en profondeur du droit et des schèmes idéologiques dominants, comme à Nuremberg, les vérités qui y sont solennellement scellées souffrent parfois d’importantes approximations. Puisque le massacre de Katyn attribué aux Allemands à Nuremberg était le fait des soviétiques ( 11000 officiers polonais exécutés), que les chiffres des victimes d’Auschwitz, extorqués sous la torture à Rudolf Höss, n’étaient pas les bons, que Flossenburg n’était pas un camp d’extermination etc…

Instruit comme nous le sommes de la réalité magmatique du politique, des enjeux idéologiques et religieux qui le traversent sur des décennies, voire des siècles ( les chrétiens n’ont-ils pas été persécutés pendant des siècles car ils ne reconnaissaient pas la divinité de l’empereur ?), comment imaginer qu’en régime démocratique, où les rapports de forces restent tout autant féroces ( songeons aux multitudes guerres néocoloniales menées pour de sordides raisons économiques par les nations dites démocratique, songeons aux régulières condamnations des grands groupes pharmaceutiques qui font valoir des études frauduleuses, aux opérations de manipulation médiatiques annonçant régulièrement des apocalypses nouvelles  depuis le rapport Meadows très profitables à certains secteurs de l’économie) il soit nécessaire à chaque fois de présenter des preuves irréfutables pour mettre en cause certains acteurs politiques majeurs, certains projets politiques ou des opérations médiatiques de déstabilisation en cours? Cette exigence est une violation de tout l’enseignement de la marche de l’histoire depuis l’antiquité. Jamais les grands changements civilisationnels ou même politiques (le passage de IVe à la Ve république relève ainsi largement, on le sait désormais, d’une certaine orchestration de la part de Gaulle) n’ont certes fait l’objet de plans parfaitement définis, mais jamais ils n’ont fait l’économie, pour autant, d’une certaine orchestration, d’une exploitation des événements et d’une certaine anticipation réfléchie. C’est ce qui rend la démonstration de leurs objectifs, de leurs méthodes et procédés difficiles à établir, surtout quand on est pris dans l’urgence de l’action, le cours chaotique des événements, mais cela n’invalide de loin pas leur existence. A l’exigence du fardeau de la preuve doit donc être substituée, quand on est réellement démocrate, la capacité à mener un propos cohérent, reposant notamment sur un large faisceau d’indices articulés entre eux, pour avoir accès à l’arène du débat public. Or c’est précisément ce dont sont capables de nombreux complotistes qui mettraient en charpie les prestigieux professeurs d’université gardiens de la bienséance écolo-inclusivo-libérale menacée par les dangereux extrémistes s’ils étaient conviés à débattre honnêtement du complotisme. C’est là tout le danger que représentent les complotistes dont les arguments, s’ils étaient débattus loyalement, empêcheraient au Big Reset de continuer son avancée à l’abri des regards.

 Exiger comme le fait monsieur Pascal Wagner-Egger que les complotistes présentent des preuves irréfutables pour être pris au sérieux, c’est tout simplement s’asseoir sur tout l’enseignement des siècles, ce qui relève soit de l’ignorance, soit d’une stratégie consistant à servir de digue à un système pour en pérenniser les rapports de force en faveur des dominants du moment.